DR YOUSSOUF Z COULIBALY, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION ADMINISTRATION TERRITORIALE DU CNT : « Le Mali ne se limite pas à une question de chronogramme »

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Dans une interview qu’il a bien voulu nous accorder, le président de la Commission Administration territoriale du Conseil National de la Transition, Dr Youssouf Z Coulibaly, a donné d’amples explications sur la nouvelle réorganisation territoriale du Mali. Il a profité de l’occasion pour donner son avis sur la question du respect du chronogramme électoral. A son avis, la résolution des problèmes des Maliens, surtout ceux liés à la sécurité, a la priorité sur un chronogramme. Nous vous proposons l’intégralité de l’interview ! 

Le Devoir : Il y a une semaine, le CNT adoptait les projets de loi relatifs à la réorganisation territoriale. Pourquoi ce découpage maintenant ?

Youssouf Z Coulibaly : Je n’aime pas trop le mot découpage territorial. Je préfère la réorganisation administrative du territoire. C’est un vieux projet qui date de 2012, à la suite du vote de la loi 2012-06. Le pays a été métamorphosé carrément par rapport aux régions. Nous avions 8 régions et nous sommes passés à 19. 

Les régions ont été créées, mais il se trouve que lorsqu’on crée une région il faut l’opérationnaliser en l’accompagnant d’un certain nombre de circonscriptions administratives et de collectivités territoriales. Il se trouve que les 19 régions n’avaient pas et ne connaissaient pas leurs limites territoriales. C’est ce travail que nous avons fait à travers six lois, notamment trois textes de base, trois autres textes sont relatifs à la création des circonscriptions administratives et des collectivités territoriales en République du Mali. C’est un parachèvement.

Qu’est-ce qui a changé ?

Y.Z.C : Beaucoup de choses ont changé. D’abord, les communes du district de Bamako ont été carrément supprimées, en mettant à leur place des arrondissements. Comme nouveautés, nous avons ajouté un septième arrondissement au district de Bamako, englobant Kalaban-coro et ses périphéries. Cette localité relevait auparavant de Kati et de la région de Koulikoro. Ses populations avaient beaucoup de difficultés lors qu’il s’agissait d’accéder à l’administration et aux services sociaux de base parce qu’il fallait aller jusqu’à Koulikoro, leur région d’attache. Nous avons donc préféré garder Kalaban-coro avec Bamako. Ses quartiers de l’Est ont été rattachés au sixième arrondissement.

Un autre changement est que Bamako passe à une collectivité unique. Au lieu d’avoir une multitude de maires, nous avons désormais un seul maire du District avec ses délégués qui auront comme seule hiérarchie le maire central, puisque Bamako a un statut particulier. C’est la vitrine, la capitale du Mali qui ne peut pas être gérée de la même manière que les autres localités du pays.

En dehors de cela, il va y avoir dans chaque arrondissement un représentant de l’État (préfet, ou sous-préfet) pour piloter. Son avantage est de permettre de mieux gérer le district de Bamako avec le contrôle de légalité exercé par les représentants de l’État sur les actes émanant des collectivités territoriales.

Ce fait est décrié par les acteurs politiques qui voient une sorte de renforcement de l’État au détriment des partis politiques ?

Y.Z.C : Je pense que cela les protège eux-mêmes. Aujourd’hui, beaucoup de maires se trouvent devant le Pôle économique parce que ce contrôle à priori n’existait pas. Ils craignent, peut-être qu’ils étaient en liberté totale, d’où l’installation de l’anarchie dans la gouvernance des collectivités territoriales. On vendait n’importe comment les parcelles. On pouvait vendre la même parcelle à deux ou trois personnes. On pouvait se désengager de l’assainissement. Toutes ces incohérences seront corrigées avec les arrondissements.

Combien d’arrondissements ont été créés ?

Y.Z.C : Nous avons compris que l’espace territorial est très vaste. Il y avait beaucoup de vide sur le plan de l’existence des services publics. Nous avons jugé nécessaire de remplir ces espaces pour éviter que des ennemis de la République ne viennent investir ces lieux et préparer de sales coups contre le pays. Nous avons donc créé quelques cercles dans des espaces très éloignés, par exemple dans les régions de Nara, Kita et San.

Lorsque vous créez des cercles, il faut les accompagner par des arrondissements, pour lesquels nous avons fait des réaménagements. C’est-à-dire, des arrondissements les plus proches ont été détachés de leurs cercles initiaux pour les rattacher aux nouveaux cercles. Pour les communes, c’est la même chose. Il n’y a pas eu beaucoup de nouvelles creations, mais seulement des aménagements à l’intérieur de la cartographie administrative pour leur permettre d’être près de leurs arrondissements et cercles.

Y a-t-il d’autres motivations derrière ces réaménagements ?

Y.Z.C : L’objectif était de respecter des critères. Nous avons pris en compte les aspects et la viabilité économique de la zone, les critères de la population, de maillage sécuritaire. Lorsque vous créez des entités administratives et des collectivités territoriales dans un espace, automatiquement les forces de sécurité sont présentes dans la zone. Ce qui permet d’arriver à ce maillage sécuritaire de notre espace territoriale.

Le dernier critère a été la cohésion sociale. Nous avons fait tout, pour ne pas séparer les communautés. Nous avons tenu à ce qu’elles restent ensemble dans leur espace.  Même si certains voulaient avoir leur entité à l’intérieur des communautés, nous avons dit non, en expliquant que l’objectif n’est de renforcer une communauté sur une autre, mais plutôt de créer des administrations pour rapprocher l’Administration des administrés.  

Avec ce nouveau schéma, le Mali aura combien de députés ? Est-ce que les prochaines élections concerneront ces circonscriptions électorales ?

Y.Z.C : Cette question vient parce qu’on pense à l’ancienne pratique où le nombre de députés était proportionnel au nombre de cercles. D’ailleurs, nous avons vu que beaucoup ont tenté d’avoir des cercles parce qu’ils pensaient avoir des députés une fois le cercle créé.

Je crois que l’AIGE va être sage pour régler cette question à travers la loi électorale, notamment en déterminant le nombre exact de députés parce que la crainte de beaucoup de nos compatriotes est de se demander est-ce qu’on aura les moyens lorsque le nombre de députés va augmenter et entrainera des charges budgétaires supplémentaires, etc. En effet, nous avons oublié que ce sont les Maliens qui déterminent le nombre des députés. Si cette base va nous amener à des dépenses extrabudgétaires, c’est à l’AIGE de dire que le nombre sera trop élevé si on prend les cercles comme circonscriptions.

La solution que je propose est de séparer carrément les circonscriptions administratives des circonscriptions des collectivités territoriales. Ce faisant, nous pourrons dire que le nombre de députés est fixé par exemple à 151 ou 181, mais nous ne devons pas aller à un nombre trop élevé pour éviter cette question budgétaire qui suscite des craintes.

Les partis politiques ne voient pas comme cela parce qu’eux-mêmes étaient à la base du blocage du vote de ces textes pendant les règnes des différents régimes. Les régimes n’ont pas pu le faire parce qu’il y avait des calculs politiques derrière. Chacun voulait avoir un nombre conséquent de communes… mais c’est de bonne guerre.

Mais nous, nous ne sommes pas des politiciens. Ce qui nous intéresse, c’est l’avenir du Mali et de nos populations. Nous allons donc calculer conformément à la capacité financière de l’Etat et le nombre peut être déterminé par rapport à cela.

On ne peut pas savoir si ces cercles seront concernés par les prochaines élections ?

Y.Z.C : Non, il n’y a pas de doute là-dessus. Les élections se dérouleront conformément au nouveau découpage territorial. Le seul blocage était au niveau de l’AIGE qui était elle-même bloquée parce qu’elle ne pouvait pas mettre en place ses démembrements, ces lois n’étant pas encore votées.

Maintenant, ces lois sont votées. Aujourd’hui l’AIGE a carte blanche pour mettre en place ses démembrements. Une fois ce processus terminé on peut aller.

Toutes ces questions sont par rapport au chronogramme. Les gens sont en train de nous bousculer comme si le Mali se résumait à un chronogramme. Je l’ai dit plusieurs fois, c’est mon avis personnel qui n’engage pas le CNT, mais moi en tant que citoyen. Le Mali ne se limite pas à une question de chronogramme. Le Mali est trop important pour un chronogramme. Si on ne fait pas attention, si on tient compte de toutes ces pressions de la communauté international, à savoir respectez, respectez le chronogramme, mais à quoi bon de respecter d’aller aux élections et de se retrouver à la case de départ ? Ce n’est pas bon.

Les gens ne sont pas suffisamment prêts, la sécurité n’est totalement pas revenue. Beaucoup d’efforts ont été fournis. C’est le lieu de saluer nos forces de défense et de sécurité… Imaginez que vous ouvrez les bureaux de vote dans les zones où il n’y a pas de sécurité et qu’on vienne saboter ! Cela veut dire que le calcul démocratique sera faussé et il y aura des citoyens qui vont perdre leurs voix. Cela n’est pas l’objectif d’une démocratie. Aujourd’hui, nous sommes à peu près 22 millions d’habitants et si vous allez élire un président avec 1,5 million de voix, il ne sera pas légitime. La légitimité, c’est lorsque tout le peuple ou une partie importante vous accepte. Mais si les gens sont privés de leurs voix parce que les uns et les autres sont pressés d’aller aux élections, cela aussi n’est pas bon.

Quels sont les moyens mis à disposition par l’Etat pour l’opérationnalisation des cercles ?

Y.Z.C : Les gens pensent qu’il y a eu beaucoup de cercles. Ce n’est pas cela. Tous les cercles existaient déjà. Il y a eu seulement quelques rajouts. L’Etat a fourni beaucoup d’efforts. Sur le plan budgétaire, il a consenti un effort énorme jusqu’à plus de 260 milliards FCFA pour le début de l’opérationnalisation.

Il faut construire les gouvernorats, les habitats pour les gouverneurs, des Directions régionales de tous les services. L’opérationnalisation est un processus. Cela ne veut pas dire qu’on crée aujourd’hui des cercles et les opérationnalise demain.

Il y a aussi le transfert des ressources. Croyez-moi, cette réorganisation va permettre de créer beaucoup d’emplois pour les jeunes. 

A quand la promulgation de cette loi sur la réorganisation administrative ?

Y.Z.C : Je ne saurai le dire. C’est le pouvoir discrétionnaire du président de la Transition que je salue au passage pour la vision. 

Par Boureima Guindo

Source : Le Devoir

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